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mardi 17 novembre 2015

CRITIQUE DE FRANCOFONIA de Alexandre Sokourov par Critique Chonchon

Francofonia - le Louvre sous l'Occupation
1940. Paris, ville occupée. Et si, dans le flot des bombardements, la guerre emportait La Vénus de Milo, La Joconde, Le Radeau de La Méduse ? Que deviendrait Paris sans son Louvre ?
Deux hommes que tout semble opposer – Jacques Jaujard (Louis-Do de Lencquesaing), directeur du Louvre, et le Comte Franz Wolff-Metternich (Benjamin Ulzerath), nommé à la tête de la commission allemande pour la protection des œuvres d’art en France – s’allient pour préserver les trésors du Musée.
Au fil du récit de cette histoire méconnue et d’une méditation humaniste sur l’art, le pouvoir et la civilisation, où l'on croisera souvent Marianne (Johanna Korthals Altes) et Napoléon Bonaparte (Vincent Nemeth) Alexandre Sokourov nous livre son portrait du Louvre.
Je suis désolé, s'il faut l'être, mais je ne peux pas rester chez moi. Il faut toujours que je sorte. J'ai donc vu ce film dans des circonstances particulières, dues à un contexte unique d'après barbarie. Il est plus que possible que mon appréciation de ce film en soit modifiée.
Ceci étant dit, je pense qu'à chaque drame, personnel ou collectif, qui est survenu dans ma vie, je suis allé au cinéma voir un film, et au Louvre pour voir le Marcellus de Cléoménès d'Athènes, le Saint Jean-Baptiste de Léonard de Vinci, et le Léon Riesener d'Eugène Delacroix.
Le Louvre est fermé, mais la sortie du film d'Alexandre Sokourov m'a permis d'y aller quand même, puisque le MK2 Beaubourg l'était aussi. Alexandre Sokourov est un grand maître du cinéma, respectueux de ses spectateurs, ne se laissant jamais jamais aller, ni sur le fond, ni sur la forme. Ses films sont même d'une splendeur presque unique, et son "Père, Fils" reste pour moi une perfection. Avec "Francofonia - le Louvre sous l'Occupation" nous sommes plus près, évidemment, de "L'Arche Russe"(2002), cet incroyable plan-séquence spatio-temporel d'1H36 dans le Musée de l'Ermitage.
Depuis 2003, Alexandre Sokurov caressait l'idée d'une oeuvre sur l'Histoire du Louvre. Davantage passionné par la littérature que par le cinéma, le cinéaste effectua un patient travail de recherches au coeur du musée en dénichant, en parallèle, de coûteuses images d'archives. Il put avoir accès aux documents personnels de Kunstschutz par le biais de son fils mais s'est rendu compte que tout ce qui concernait Jacques Jaujard avait disparu. Armé d'un scénario qu'il qualifie lui-même de "très maigre", il ne cessa d'enrichir le film au cours du tournage et encore plus durant de la post-production, "vrai moment de création" où il n'y aurait "aucune restriction".
Le Louvre et le cinéma tel que le pratique Sokourov sont de l'Art, et donc de la politique. L'Occupation, la collaboration, sont aussi de la politique. Il n'est donc pas étonnant qu'après à peine 10 minutes de film, on croise Marianne, qui scande "Liberté, Égalité, Fraternité", celle qu'elle fera à plusieurs reprises dans le film. Je n'ai pas besoin d'insister pour faire remarquer que cela nous ramène à l'actualité. De la même façon, on croise souvent Napoléon Bonaparte (incarné avec drôlerie par Vincent Nemeth, au jeu assez semblable à celui de Michel Fau), dont les batailles ont aussi servi à alimenter le Louvre d'oeuvres majeures. Cela renvoie aussi à aujourd'hui, puisque des trois droites telles que les décrit René Rémond, la droite "bonapartiste" n'est pas celle qui a le moins de vigueur, avec son habituelle rhétorique de "l'homme providentiel" avec laquelle on croit toujours pouvoir tous nous enfumer.
Alexandre Sokourov est russe, et cela imprègne forcément so jugement politique de la Seconde Guerre Mondiale en générale, de l'Occupation et de la collaboration en particulier. On ne saurait l'en blâmer, puisqu'il est clair à ce propos. Donc, de fait, une attention particulière est portée sur "l'anti-bolchévisme" de l'époque. Voilà qui m'a beaucoup rappeler mes cours d'histoire, puisque j'ai eu la chance d'avoir un excellent professeur... À mon sens, il manque juste une personne, mais non des moindres, dans le film : l'extraordinaire résistante que fut Rose Valland.
Comment, durant l’Occupation, grâce à l’entente de deux hommes, un Allemand, un Français, pénétrés de la grandeur de l’art, le Louvre put résister à la tempête ? Sokourov le montre à travers une utilisation virtuose des images d’archives et une reconstitution non moins brillante de l’époque. Ces chocs spatio-temporels, ces expériences érudites, ces associations parfois fulgurantes rappellent les travaux tardifs de Jean-Luc Godard.
Avec cette œuvre poétique et artisanale, le réalisateur met en relief et en lumière, mieux qu’avec une pesante fresque historique, ce qui relie les époques et les hommes, les pays et les sensibilités : l’art comme lingua franca de la civilisation occidentale. Et pour ce qui me concerne, de penser à Palmyre...
Ayant dit qu'Alexandre Sokourov proposait ici un film éminemment politique, je veux rester cohérent, et rappeler qu'il a exprimé, successivement, un grand soutien à Vladimir Poutine, puis exprimé de très grands doutes à son sujet. Faut-il pour autant en amoindrir le propos de "Francofonia - le Louvre sous l'Occupation", chacun jugera.
À mon sens, c'est un très bon film, passionnant et virtuose de bout en bout, d'autant plus qu'il peut nous renvoyer à la période actuelle.
Mais je ne le conseille pas, considérant - comment dire ? - qu'il faut être "charpenté" de manière singulière pour l'apprécier.

Critique de Francofonia de Alexandre Soukourov par Critique Chonchon

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