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mercredi 25 mars 2015

POUR UN AMI : L'AVIS DU FIGARO SUR LA SAPIENZA D'EUGENE GREEN

Il faut toujours un temps d'adaptation pour entrer dans l'univers d'Eugène Green, «ex-Néo-Yorkais», comme il se plaît à dire, que l'amour des langues, des mots et d'un savoir mystique ont installé depuis longtemps dans l'Europe latine. Et plus précisément dans la langue française. Il y habite une demeure ancienne, baroque, où l'on s'éclaire à la chandelle et où l'on parle un français fort châtié, soigneusement articulé, orné de toutes les liaisons dédaignées aujourd'hui. Certains y ont vu une affectation absurde, un maniérisme qui se complaisait dans la reconstitution artificielle d'un passé mort (voire inventé). Pour lui, c'est une liturgie de la parole qui fait accéder à l'ordre profond des choses.
La Sapienza, titre de son nouveau film, renvoie à l'église romaine de Borromini Sant'Ivo alla Sapienza, mais c'est aussi le nom qu'Eugène Green avait donné à sa compagnie théâtrale: la Sapience. Le mot mêle intrinsèquement, jusque dans ses sonorités, la science et la sagesse, ce qui est déjà tout un programme philosophique, et une ambition de la Renaissance.


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Le personnage principal du film, Alexandre (Fabrizio Rongione), est un architecte connu, comblé d'honneurs (il vient en Suisse recevoir un prix) mais désenchanté, pris dans le confort sans horizon d'un système fonctionnel dénué d'âme. Il est accompagné par sa femme Alienor (Christelle Prot), qui est psychologue, mais leurs liens sont tout aussi distendus, usés. Au bord du lac Majeur, ils font connaissance de deux adolescents très unis : Goffredo (Ludovico Succio) s'occupe beaucoup de sa sœur Lavinia (Arianna Nastro), atteinte d'une mystérieuse maladie de de langueur. Goffredo, qui veut devenir architecte, accompagne Alexandre à Rome pour étudier les œuvres de Borromini. Pendant ce temps, Alienor reste auprès de Lavinia.
Le couple d'amoureux vieillis, las, abîmé, va être revivifié par le gracieux génie du couple fraternel, comme le béton morne et l'utilitarisme rationnel laisseront peu à peu la place à une vision de la nature et de la grâce.
Une fois admis les codes d'Eugène Green, diction emphatique, plans statiques, si on accepte de s'ennuyer parfois - et pourquoi pas? c'est une ascèse qui décharge et aère - il y a des trésors à découvrir. Ils ne s'imposent pas, ils se proposent à qui s'est fait un regard attentif.
Eugène Green ordonne son film comme un ensemble où les éléments contradictoires créent des équilibres successifs: la vie actuelle et la civilisation d'autrefois, l'âge mûr et la jeunesse, le matérialisme et la spiritualité, la nature, la mondanité et l'art… C'est ainsi que le film avance, une époque parlant de l'autre, les manières de vivre et d'aimer se cherchant dans les styles et les techniques. L'architecture naturelle des forêts dialogue avec celle de Borromini, interroge celle d'aujourd'hui sur son rapport avec l'homme.
Plus que le mouvement, ce qui intéresse Eugène Green dans le cinéma, c'est la lumière. Et dans le cas de La Sapienza, cette lumière qui se laisse modeler par l'architecture, dont elle est l'élément immatériel et la fin suprême.
Elle a quelque chose à voir avec l'absolu et l'amour. «C'est par la lumière que nous aurons des enfants», dit Alexandre en retrouvant Aliénor après son périple romain.



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